DESSINS Les origines

"Toile écran", 
mine de plomb sur papier, 32 x 24 cm, 2007.
"Toile écrans",
 mine de plomb sur papier, 24 x 32 cm, 2007.

"Écrans", 
mine de plomb sur papier, 24 x 32 cm, 2007.


"Écrans", 
mine de plomb sur papier, 24 x 32 cm, 2007.


"Écrans", 
mine de plomb sur papier, 24 x 32 cm, 2007



Patrick SAUZE par Pierre TILMAN.

Je vais vous raconter l’histoire de la feuille blanche. Je pourrais même commencer par il était une fois la feuille blanche qui était… elle était où ?… je ne sais pas, il faudrait demander à Patrick Sauze où il met les feuilles qu’il achète, dans un meuble, un placard, un tiroir, dans un carton à dessin? Bon, ça n’a pas beaucoup d’importance pour mon histoire, je continue. Il la prend par les deux coins supérieurs entre ses doigts et ils s’installent tous les deux, la feuille et lui, pour dessiner. Enfin, c’est surtout l’un qui est censé dessiner l’autre. Ce moment de la première rencontre est toujours un moment assez grave, tous les artistes vous le diront. Il y a un rapport un peu sacré, parfois difficile dans cette posture particulière du dessinateur face à la feuille blanche. La vérité est que Sauze, comme tous les chevaliers, est un adepte de ce qui est plus ou moins inaccessible, qu’il caresse l’idée de l’impossible et qu’il a dans la tête des désirs de monochrome. Mais cette vérité que je viens de vous révéler, la feuille ne la connaît pas, elle ne s’en doute même pas, si, peut-être un peu quand même. Elle est là, elle attend. Elle présente les signes de pâleur épidermique qui montre qu’elle n’en mène ni long ni large. Le propre d’une feuille blanche être d’être figurée. Elle espère donc les premiers coups de crayon. Vous savez tous que Patrick Sauze est un artiste, mais je m’aperçois que j’avais omis de vous préciser qu’il fait partie de la confrérie des chevaliers, alors je vous le dis, c’en est un, héroïque s’il en fût, et il en fût, vous pouvez me croire. Pendant ce temps, voilà qu’il s’est mis à dessiner de première grandeur, sa grande et longiligne carcasse attentivement penchée sur la feuille qu’il hachure de fins traits. Laquelle, à l’heure actuelle et au fur et à mesure moins blanche, perçoit avec un début de satisfaction la présence des coups de crayon. Elle est néanmoins encore quelque peu inquiète. Elle retient sa respiration car elle sent que Sauze s’occupe de son pourtour et de ses marges et qu’il délaisse son centre. Qu’est-ce à dire ?, pense-t-elle. Serait-ce un évitement volontaire? Patience, ajoute-t-elle pour elle-même, ne nous alarmons pas. Là encore, je suis contraint d’arrêter le cours de l’histoire pour vous expliquer ce que ne peut voir ni savoir la protagoniste de papier. Cette situation m’oblige en quelque sorte à introduire une voix off dans le récit, procédé qu’au cinéma je trouve souvent trop facile. Mais, dans l’histoire que je vous conte, ce genre de subterfuge me paraît néanmoins nécessaire car, il faut bien le reconnaître, il s’agit d’une confrontation entre un humain et une chose. Ce que je veux que vous compreniez, c’est que Patrick Sauze est en train de mettre la feuille blanche dans le dessin et de dessiner autour de la feuille figurée. C’est pour cette raison qu’il laisse un blanc en plein milieu. Il prononce même un moment, pour préciser sa pensée, ces phrases à voix basse: comme on ne peut pas être au centre, laisser un grand vide au milieu. La feuille les entend et elle reprend confiance. Elle éprouve du contentement à se représenter ainsi, feuille blanche à l’intérieur d’elle même. Ne dirait-on pas que je me mets en abîme, se murmure-t-elle avec un rien de vanité. Elle se souvient avec fierté que le dessinateur est un chevalier. Ce qu’il fait ne peut être que le résultat d’une rigueur et d’une ambition à la hauteur de son titre. Elle comprend que ce qu’elle prenait pour une absence, pour un vide sans espoir est en fait le plus bel hommage qui pouvait lui être rendu : être la feuille blanche, être là, n’attendant rien, n’attendant même pas l’aubaine de quelques traits qui viendraient l’habiller, l’habiter. Être la feuille blanche, point final. Comme au début de notre histoire. Non, pas tout à fait comme au début de notre histoire car la feuille blanche est maintenant dans le dessin. Elle est le résultat de ce combat du blanc avec le noir, du clair avec l’obscur qui est le grand enjeu des héroïques chevaliers qui se battent seuls dans leur atelier, seul contre tous et jusqu’au bout, et qui, à la limite du honteux et du ridicule, remportent leurs victoires. Ce qui fait que c’est une histoire qui finit bien.

Pierre Tilman